Jacques Painchaud Jacques Painchaud

Quand la bonne foi ne suffit pas !

Face à un conflit de travail qui perdure, vaut-il mieu préserver le dialogue à tout prix ou accepter qu’un tiers tranche ?

Adopter une attitude et des comportements éthiques au quotidien demeure le moteur indispensable de toute négociation collective réussie. Pourtant, au Québec, ces dernières années, la réalité sur le terrain a montré qu’une approche éthique ne peut règler tous les problèmes.

Entre 2022 et 2025, les secteurs public et municipal ont vécu des négociations particulièrement difficiles, émaillées de conflits majeurs. Dans ce contexte,

Face à un conflit de travail qui perdure, vaut-il mieux préserver le dialogue à tout prix ou accepter qu'un tiers tranche ?

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L’éthique : un socle, mais pas un remède miracle

Adopter une attitude et des comportements éthiques au quotidien demeure le moteur indispensable de toute négociation collective réussie. Pourtant, au Québec, ces dernières années, la réalité sur le terrain a montré qu’une approche éthique ne peut règler tous les problèmes.

Entre 2022 et 2025, les secteurs public et municipal ont vécu des négociations particulièrement difficiles, émaillées de conflits majeurs. Dans ce contexte, il faut parfois aller au-delà du simple « vouloir bien faire » : il devient crucial d’activer des mécanismes complémentaires pour sortir de l’impasse et transformer la crise en occasion de dialogue.

L’éthique, c’est le socle : la transparence, la bonne foi et la confiance mutuelle ouvrent la voie à la discussion. Voir mon article de blogue : Éthique et prévention des conflits. Mais même avec les meilleures intentions, il arrive que la négociation se fige. Ayant vécu moi-même ces moments, je retiens une leçon toute simple : quand tout bloque, il ne reste qu’une certitude :

« On est condamnés à s’entendre ! »

C’est dans cet esprit qu’il faut envisager les solutions : d’abord, par des gestes quotidiens qui nourrissent le climat de confiance et, au besoin, par l’ouverture vers la médiation. 

Médiation : renouer le dialogue

La médiation, c’est se donner la chance de reprendre le dialogue, de limiter les tensions et de maîtriser les coûts et du temps. On doit commencer par reconnaître ensemble ce qui nous relie :

  • les grands objectifs de l’organisation

  • les valeurs partagées

  • les buts réalistes à poursuivre

La présence d’un médiateur accrédité change la dynamique de la table de négociation. Je sais vous me direz, qu’il n’y a pas de garantie de résultat mais selon mon expérience, l’exercice en vaut vraiement la peine.  En reconnaissant ce que les parties ont en commun, on pose les bases d’une discussion qui porte, même quand les divergences persistent. Ce n’est pas une chose facile, mais comme négociateur, il est important de faire cet effort de compréhension mutuelle des enjeux. 

Arbitrage : pour relancer la conversation quand tout bloque

Mais, il arrive que même la médiation ne suffise plus. C’est là que l’arbitrage de différend exécutoire prend tout son sens. Dans nos lois québécoises, ce recours s’entoure de règles précises et de critères d’équité et son effet peut être bien réel avant une décision arbitrale rendue. Pourquoi ?

Parce qu’en sachant qu’une solution pourrait bientôt s’imposer à tous, les parties sont souvent poussées à relancer elles-mêmes la négociation. 

Cela dit, il faut aussi reconnaître que l’arbitrage n’est pas une méthode rapide ni bon marché. La procédure peut s’étirer sur plusieurs mois, parfois plus, et elle implique des coûts importants qui pèsent sur toutes les parties. C’est pourquoi on l’utilise généralement en dernier recours, lorsque les autres voies de règlement ont été épuisées.

Zone de règlement  vs Zone d’incertitude

La possibilité qu’un arbitre rende une sentence agit souvent comme un puissant déclencheur dans une négociation : En effet, dès que cette option devient réelle, la fameuse « zone de règlement » s’ouvre et pousse les parties à retrouver la volonté de bâtir un compromis ensemble.

Au Québec, on constate fréquemment que les moyens de pression, qu’il s’agisse de gestes symboliques, de ralentissements ou d’actions concertées,  contribuent à maintenir une forme de « zone d’incertitude », ce qui rapproche parfois les positions… mais celà comporte aussi des risques, notamment pour les syndicats si la situation s’enlise.​

L’arbitrage, encadré par des règles strictes et réservé comme dernier recours, s’impose alors comme une solution pour sortir de l’impasse. Quand l’arbitre tranche « en équité et en bonne conscience », cela ajoute une part d’imprévisibilité dans le processus, ce qui incite bien souvent les parties à reprendre sérieusement les pourparlers : au fond, personne n’aime perdre totalement la maîtrise de l’issue entre les mains d’un tiers.

Éthique et arbitrage : bâtir un écosystème de collaboration

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’éthique et l’arbitrage ne sont pas en concurrence. Au contraire : ils se complètent dans un système de relations de travail fondé sur la responsabilité, la confiance et la rigueur institutionnelle.

L’éthique crée le climat et donne envie de bâtir des solutions durables. L’arbitrage, lui, offre le garde-fou pour reprendre le dialogue quand tout semble bloqué.

Ensemble, ils forment ce que les spécialistes appellent désormais un « écosystème de négociation » : un cadre où chaque outil, valeurs, pratiques, mécanismes a son rôle pour résoudre le conflit.​

Dans le contexte actuel, c’est sans doute cette complémentarité et cette souplesse dans l’approche qui permettent de dépasser les blocages et de bâtir des relations de travail vraiment constructives, même dans les contextes les plus tendus. 

Au fil des années, l’expérience de la négociation m’a appris une vérité simple : « la dureté du conflit ne nie pas l’éthique : elle la met à l’épreuve ». Traverser des rapports de force tendus, sentir la lassitude gagner autour de la table ou voir les positions se durcir ne signifie jamais qu’il faut renoncer aux principes de transparence, d’écoute et de respect mutuel.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez approfondir le sujet, voici les principales sources qui ont alimenté cette réflexion, en complément de mon expérience de négociateur :

Études de référence
Carrier, C. (2021). La médiation organisationnelle (sociale et collective). ADRIC.
Jalette, P. & Laroche, M. (2022). Négociation collective : bilan et tendances.
Ministère du Travail du Québec (2022). Mesure des effets des arrêts de travail et des activités de médiation-conciliation sur l’économie du Québec, 2014‑2020.
Institut économique de Montréal (2025). Le Québec face à la forte augmentation des grèves syndicales.

À propos de l’auteur : Jacques Painchaud, Adm.A, médiateur certifié et consultant. Détenteur d’une maîtrise en droit et formé en journalisme, il accompagne les organisations en gestion des relations de travail, médiation, formation et communication.

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Éthique, Négociation, Médiation, Arbitrage, Transparence, Bonne foi, Confiance


 

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Éthique et prévention des conflits : construire des relations de travail durables

Pourquoi certaines négociations collectives s’enlisent-elles alors que d’autres aboutissent rapidement à des ententes durables ?

La négociation collective ne peut survivre aux seules stratégies d'affrontement. Si l’on veut éviter l’escalade vers l’arbitrage et bâtir des solutions durables, trois piliers éthiques s’imposent comme fondements incontournables : la transparence, la bonne foi et la confiance mutuelle. Il ne s’agit pas seulement de concepts théoriques .

 Pourquoi certaines négociations collectives s’enlisent-elles alors que d’autres aboutissent rapidement à des ententes durables ?

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La négociation collective ne peut survivre aux seules stratégies d'affrontement. Si l’on veut éviter l’escalade vers l’arbitrage et bâtir des solutions durables, trois piliers éthiques s’imposent comme fondements incontournables : la transparence, la bonne foi et la confiance mutuelle. Il ne s’agit pas seulement de concepts théoriques : ces valeurs constituent des leviers concrets pour prévenir efficacement les conflits.

Transparence : la clé d’un dialogue constructif

Imaginez cette scène : après des semaines de négociation, l’employeur refuse de partager certaines informations cruciales. Les représentants syndicaux se braquent, la tension monte, les accusations fusent. Pourtant, un geste simple de transparence peut tout débloquer.

Mon expérience de 25 ans en négociation me l’a prouvé maintes fois : lorsque les objectifs sont clairement exprimés et les contraintes réelles partagées, le dialogue devient constructif. Chaque partie s’engage alors dans la recherche de solutions viables.

La transparence n’est pas qu’une intention louable, elle implique un certain devoir d’ouverture et de communication d’informations pertinentes.

Cette exigence va au-delà de la simple communication formelle ; elle vise une compréhension mutuelle des enjeux concrets.

Bonne foi : au-delà des stratégies

Permettez-moi de partager une anecdote révélatrice. Lors d’une négociation particulièrement tendue, un simple document remis à temps comme promis présentant les résultats d’une analyse favorable à notre proposition a ranimé le dialogue après des semaines d’impasse. Voilà la bonne foi : des gestes concrets qui bâtissent la confiance.

Travailler de bonne foi, c’est plus que respecter le protocole : c’est reconnaître la légitimité des attentes de l’autre et rechercher un véritable équilibre, même lorsque les enjeux sont élevés.

Négociation serrée ou de façade ?

Défendre fermement ses intérêts est légitime. Mais les manœuvres dilatoires constituent une infraction à la loi. La jurisprudence distingue entre la « négociation serrée » réelle et la « négociation de façade », distinction fondamentale précisée par Villaggi. L’exigence de bonne foi permet une défense ferme des intérêts, sans les tactiques dilatoires.

Confiance mutuelle : l’accélérateur invisible

Voici une vérité que vous connaissez surement : « Il faut que les bottines suivent les babines ! » La confiance se construit sur la cohérence entre paroles et actes.

Au fil des années, les négociateurs développent un véritable « code de conduite » informel. Les études spécialisées le confirment : cette déontologie non écrite, documentée entre autres dans les recherches de Lapointe et al., permet de maintenir des canaux de communication respectueux même en cas de conflit majeur.

Cette cohésion fait souvent la différence pour relancer une négociation bloquée et pour assurer un climat organisationnel sain par la suite. Pourquoi est-ce si crucial ? Parce qu’il y a un « après ». Les mêmes personnes devront appliquer au quotidien ce qui a été convenu dans la convention collective.

Voici une synthèse d’un protocole fondé sur ces trois piliers :

Engagement transparence

  • Communiquez ouvertement (sans compromettre votre stratégie légitime).

  • Organisez des points d’étape réguliers avec votre équipe et vos partenaires.

  • Partagez les informations pertinentes afin de maintenir la clarté.

Engagement bonne foi

  • Respectez vos engagements et vos échéanciers.

  • Négociez fermement, sans manœuvres dilatoires.

  • Reconnaissez la légitimité des positions à la table.

Engagement confiance mutuelle

  • Constituez une équipe représentative et respectueuse.

  • Maintenez des relations professionnelles au-delà des négociations.

  • Formalisez par écrit toutes les ententes verbales.

Est-ce vraiment efficace ? Des règles explicites, connues de tous, font gagner du temps, réduisent les malentendus et favorisent l’émergence de solutions novatrices.

Garantir la bonne foi ?

Un protocole ne remplace pas la vigilance. Même les dispositions législatives qui exigent la négociation de bonne foi, prévues au Code du travail, seront inopérantes sans la véracité incarnée par les négociateurs.

Quand l’impasse persiste : choisir la médiation

Même avec les meilleures intentions, les négociations atteignent parfois leurs limites. C’est là que la médiation prend tout son sens : elle permet à chaque partie de revisiter ses priorités et d’explorer de nouvelles voies. Cet exercice a souvent débouché sur des ententes de principe qui semblaient inatteignables.
Mon conseil : prévoyez la nomination d’un médiateur accrédité et neutre dès qu’un blocage survient.


Un protocole de prévention et règlement des différends (PRD) offre un cadre structurant, incitant chaque partie à transformer ses engagements en gestes concrets, mettant en phase les paroles et les actes. Ce processus m’a été très utile lors de négociations récentes : il n’y a aucune garantie de résultat, mais il demeure une voie pertinente pour tenter de résoudre ou prévenir un litige.


Condition essentielle : transparence, bonne foi et confiance mutuelle doivent rester présentes. Sans ces valeurs, aucune solution durable n’émergera.

Un investissement qui rapporte

En somme, la négociation éthique n’est pas un idéal lointain : c’est un investissement qui protège les intérêts de tous et prévient l’escalade vers l’arbitrage. Pour toute organisation, fonder la relation avec les employés sur la confiance est le meilleur moyen de susciter un engagement collectif durable. Dans un contexte où les relations de travail évoluent rapidement, ces valeurs deviennent les piliers de solutions pérennes, en entreprise privée comme en administration publique.

Et vous, quelle place accordez-vous à la transparence, la bonne foi et la confiance mutuelle dans vos négociations ?

Voir aussi : Quand la bonne foi ne suffit pas ! 

À propos de l’auteur : Jacques Painchaud, Adm.A, médiateur certifié, consultant et formateur. Détenteur d’une maîtrise en droit et formé en journalisme, il accompagne les organisations en gestion des relations de travail, formation et communication.

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Pour aller plus loin

Si vous souhaitez approfondir le sujet, voici les principales sources qui ont alimenté cette réflexion, en complément de mon expérience de négociateur :

Sources et références

  • Villaggi, J.P. (1996). « La convention collective et l'obligation de négocier de bonne foi », Revue de droit de l'Université de Sherbrooke, vol. 26, n° 2.

  • Lapointe, J., Ross, C., Legault, M.J. (2003). « L'éthique en négociation collective : la perception de conseillères et conseillers syndicaux québécois », Relations industrielles, vol. 58, n° 2.

  • LégisQuébec. (2025). Code du travail du Québec (C-27), art.53.

  • Gouvernement du Canada , Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, (2022). « Le processus de négociation collective ».

Avis légal : Le contenu de cet article est informatif et ne constitue pas un avis ou conseil juridique. Textes, images et vidéos peuvent avoir été assistés par des outils numériques IA. Pour toute situation particulière, consultez un avocat membre du Barreau du Québec. Cet article peut contenir des publicités Google AdSense et des liens sponsorisés.

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